« Ne commençons pas avec la période divisioniste, mais voyons, comme peuple burundais, ce qu’on avait de précieux. Et c’était cette fête Umuganuro. »

Sources: RFI https://bit.ly/3bidu9d

La jeune autrice burundaise Laura Sheïlla Inangoma entre mardi dernier le 19 juillet à 11h dans la « Cour d’honneur » des auteurs africains au Festival d’Avignon. Procès aux mémoires, dirigé par le metteur en scène Armel Roussel, est présenté au Jardin de la rue de Mons sous forme de mise en voix dans la 10e édition de Ça va, ça va le monde !, organisée par RFI.  La lecture est également diffusée en direct sur Facebook Live.

« Quand j’écris, il y a des moments où j’écris à 100 à l’heure. À d’autres moments, un petit oiseau passe et tu entends même ses échos… » Laura Sheïlla Inangoma est encore très jeune, mais déjà reconnue dans son pays. Elle se révèle très à l’aise devant une caméra et son rire se partage facilement. Mais attention, derrière son apparente fragilité se cache une autrice pugnace que certains considèrent déjà comme la nouvelle icône du théâtre burundais.

Dans Procès aux mémoires, Laura Sheïlla Inangoma embrasse courageusement l’Histoire burundaise. Folie de grandeur ? Non, elle se montre plutôt cohérente avec son nom Inangoma qui signifie « la mère du pouvoir ».

Le pouvoir du théâtre

« En fait, c’est la femme du tambour, rectifie-t-elle. Et au Burundi, le tambour est comme le pouvoir. Pour annoncer à tous les Burundais qu’il y a un nouveau roi, on battait le tambour. Le pouvoir du théâtre consiste à donner la voix, à donner un espace d’expression, dire tout haut ce qu’on dit tout bas. En tant que femme burundaise, c’est très rafraîchissant. C’est vraiment une belle plateforme qui a un énorme pouvoir. »

Et de quel super pouvoir en particulier dispose cette jeune autrice de 28 ans avec le théâtre ? « Je dirais que je n’ai pas peur de coucher certains mots sur papier, de dire vraiment ce que je pense. C’est une liberté que je me donne dans l’écriture. En tant que comédienne, je propose, mais j’emploie les mots des autres. »

Sélectionnée pour la 10e édition de Ça va, ça va le monde !la lecture de sa pièce Procès aux mémoires aura lieu entre celle du prix Goncourt Mohamed Mbougar Sarr et celle du grand auteur congolais Dieudonné Niangouna. Pas étonnant qu’il y a une petite nervosité palpable pour sa première en France. « Oui, je suis très nerveuse. Je suis ces grands auteurs depuis des années. Ils m’inspirent. Et aujourd’hui, je me retrouve dedans. J’espère que ma nervosité ne va pas se manifester lors de la lecture. »

La mémoire d’Umuganuro

Car, en plus d’être l’autrice, Laura Sheïlla Inangoma sera également l’un des comédiens sur scène. Pour faire vivre la pièce sur scène, elle a accepté de réduire le nombre de personnages prévus dans le texte. Au lieu de 25, il y aura 16 comédiens, mais même ce dispositif « réduit » explose encore le dispositif technique habituel avec ses huit microphones prévus pour la mise en voix dirigée par Armel Roussel.

De quelles mémoires parle-t-elle dans Procès aux mémoires ?

« On parle de la mémoire d’Umuganuro. Cette fête existait au Burundi à l’époque de la dynastie, jusqu’à 1932. Cette fête a disparu. C’était comme une fête nationale, notre moyen de se dire « Joyeux Nouvel An ! ».

Le roi bénissait les semences, réunissait tous les clans burundais. C’est cette mémoire qu’on a perdue. J’essaie de la réexplorer à travers un culte qui est aujourd’hui repratiqué. L’histoire se passe en 2022, avec un culte qui se passait avant et une fête qu’on a perdue. Comme ce sont des cultes qu’on appelle maintenant « barbares » dans nos sociétés chrétiennes, cela atterrit dans ce procès en 2022. »

Un tribunal, un procès, trois accusées, voilà le point de départ formel de la pièce. Mais qui sont ces trois femmes ?

« Ces femmes sont des femmes ordinaires. Une femme est cultivatrice, elle a 75 ans. L’autre est une ex-ombudswoman (médiatrice) devenue chômeuse depuis qu’elle a commencé à faire ses rites « sombres ». Et la troisième est une sage-femme. Ces trois femmes ont la particularité qu’elles s’approprient des noms de femmes (d’autrefois) qui pratiquaient les cultes et qui étaient appelées : femmes ayant la responsabilité d’entretenir le tambour de la dynastie ».

« L’autre était responsable du culte Jururyikagongo, le culte du python Bihiribigonzi qui accompagnait le culte de la fête Umuganuro où le roi, avant d’ouvrir la fête à tout le monde, simulait des actes sexuels… comme une réminiscence à la reproduction des Burundais. L’autre culte s’appelle Mukakaryenda. Pour le dire simplement, il s’agit de la femme du prêtre burundais à l’époque ancienne. Donc, il s’agit de trois femmes ordinaires qui s’approprient les noms de ces femmes leader des cultes. Elles disent être habitées par l’esprit de ces femmes et font redémarrer ces cultes en 2022. Et ça, cela ne plaît pas à la société chrétienne… [rires] »

Un style « contemporain »

Avec le nombre impressionnant de personnages s’invite aussi une grande diversité de s’exprimer. Il y a une femme habillée en Bapfasoni, une autre porte un Ibirezi sur le cou, il y a aussi la langue kirundi et des cloches amayugi… La langue théâtrale de Laura Sheïlla Inangoma est souvent imprégnée de la culture burundaise. Mais pour caractériser sa langue, son style, sa façon d’écrire, l’autrice a recours à un autre mot :

« Contemporain, parce que cela embrasse toutes les autres formes d’art. Dans la pièce, il y a de la poésie empruntée aux bergers burundais qui font des éloges aux vaches. La pièce accueille aussi quelques danses, mais qu’on a retirées, parce que cela ne passe pas à la radio… Le texte accueille également ce langage burundais qui n’a pas été transcrit au théâtre classique en général, parce que nous n’étions pas là à ce moment… Cela amène un peu de la culture burundaise, mais il y a aussi des jeux sur des mots français, parce que cela nous influence fortement. À l’école, j’ai commencé parler français à l’âge de 6 ans. »

Reste à savoir si le public va comprendre cette pièce si enracinée dans la culture burundaise ? Ou plutôt les publics, car il y aura des spectateurs dans le Jardin de la rue de Mons, les internautes connectés au Facebook Live, les auditeurs de RFI au Burundi, mais aussi dans d’autres pays africains voire sur d’autres continents. Quelle est la dimension universelle de la pièce ?

« Prenons l’exemple des cloches amayugi, cette sorte d’instrument existe aussi en France. Les colliers Ibirezi peuvent exister aussi sur le continent américain. C’est juste qu’on les aperçoit ici avec les appellations burundaises. Souvent, ce qu’on croit être loin de nous est en fait toujours très proche. Dans la pièce, je retourne à la question : qu’est-ce qu’on célèbre encore aujourd’hui en tant que Burundais après les périodes pas faciles comme les guerres civiles ? Et si on revenait à nos rites, à nos manières de célébrer ensemble une communauté ? C’est intéressant d’avoir cet aspect de la richesse de la culture burundaise dans le théâtre contemporain, parce que ce n’était pas réellement présent jusqu’ici. »

Le déclic pour le théâtre

Née en 1994, Laura Sheïlla Inangoma a rencontré presque par hasard le théâtre. Marshall Mpingarugano, avec lequel elle va créer ensuite la troupe Les Enfoirés de Sanoladante, est venu frapper à la porte de l’école pour demander aux élèves s’ils voulaient faire des activités extra-scolaires… Ainsi, Laura monte pour la première fois sur scène. En revanche, c’est quelques années après son rôle d’une jeune femme violée qui lui a fait comprendre l’importance du théâtre dans sa vie. Un véritable déclic…

« Kivu était cette femme de la RDC, pays tout près de chez nous, qui parle de ce viol qu’elle a eu de son frère qu’elle avait perdu de vue pendant cinq ans, parce qu’il avait été emmené dans un camp de rebelles. Interpréter ce rôle et de le jouer non seulement au Burundi, mais aussi au Rwanda et au Congo, cela m’a demandé beaucoup d’efforts. Je n’aurais jamais cru pouvoir l’interpréter. Cela m’a montré que cette femme avait vraiment ce besoin de partager ça. Cela a touché tellement de femmes et de gens qui sont venus personnellement à moi pour me dire combien cela faisait de bien d’entendre ça et de pleurer. Cela m’a montré la justesse dans ce que nous faisons. »

Le déclic pour l’écriture

Depuis ce temps, Laura Sheïlla Inangoma se considère bien plus qu’une simple comédienne. Elle s’affiche comme une activiste du récit africain et des droits humains, lutte activement pour l’égalité entre homme et femme. La distribution originale de la pièce prévoit « 25 corps homo sapiens vivants sur scène : treize de sexe féminin et douze de sexe masculin ». Est-ce que c’était important que ce soit une majorité de femmes ?

Elle met ses mains devant son visage et éclate de rire… : « Je ne sais pas [rires]. Peut-être [sourire]. » De toute façon, pour elle, l’engagement pour le théâtre et l’engagement social et politique sont intimement liés ? « Oui, parce que je pense quand une femme se met à écrire, à manifester ses opinions et à les vocaliser, c’est déjà politique. Malheureusement, je pense que c’est vrai un peu partout dans le monde, pas uniquement au Burundi. »

De cette époque date aussi son déclic pour l’écriture :« C’était au Kenya. Dans le cadre d’un séminaire sur le leadership africain, inauguré en 2018 par Barack Obama, entre le Kenya et les États-Unis, j’ai rencontré l’écriture de Chimamanda Adichie. Son discours sur le danger d’une seule version de l’Histoire, son souhait qu’il y ait une nouvelle narration en Afrique, cela a tellement résonné en moi. J’ai vraiment eu un sentiment d’avoir un appel, et ce besoin urgent d’écrire. Je consulte les archives de mon Histoire. Je fais beaucoup de recherches sur moi pour reconnecter avec mon histoire. Dans Procès aux mémoires, je me suis dit : ne commençons pas avec la période divisionniste, mais voyons, comme peuple burundais, ce qu’on avait de précieux. Et c’était cette fête Umuganuro. »

Sources: RFI https://bit.ly/3bidu9d

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