Du 29 Août au 02 septembre 2022,  il s’est tenue à Conakry (Guinée) une conférence sur la Narration-Dialogue Intergénérationnelle. Cette réunion a été organisée par la Coalition Internationale des Sites des Conscience (ICSC) ainsi que l’Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR) et d’autres partenaires.

Ont répondu au rendez-vous les représentants de plus de dix associations et organisations Africaines œuvrant dans le domaine de la mémoire et des droits de l’homme et qui se retrouvent toutes dans la Coalition Internationale des Sites de Conscience.

Après avoir fait une brève présentation en rapport avec l’objectif de la conférence, la Coordinatrice Région Afrique de la Coalition Internationale des Sites de Conscience, Madame Gégé Joseph, a invité la fondatrice de l’ONG « The African Network Against Extrajudicial Executions and Enforced Disappearances, ANEKED », une organisation Gambienne qui aide les victimes des atrocités commises par l’ancien régime du président  Yaya Jammeh, à présenter son exposé.

 Madame Nana-Jo Ndow, la fondatrice et directrice exécutif de l’ANEKED a exposé sur le thème : « Mémorialisation: l’importance de se souvenir ».  Étant également l’une des organisatrices de la session, elle a passé en revue les 22 années noires du régime de Yaya Jammeh.

Elle a déploré « les disparitions forcées, les meurtres extrajudiciaires, les tortures, les violences sexuelles, les arrestations et détentions arbitraires, le travail forcé, la persécution religieuse et intolérance de toute sorte » qui ont caractérise le régime.

Nana-Jo Ndow a indiqué que son organisation aide les membres des familles des disparus dans leur soutien psychologique. Elle les aide également à ne jamais avoir peur de se souvenir de leurs biens aimés disparus dans des circonstances tragiques.

Pour bien arriver à cet objectif, Nana-Jo Ndow a souligné que l’organisation a créé un Musée dans lequel les photos de toutes les victimes ainsi que certains de leurs objets sont exposés.

«Un musée itinérant est de temps en temps organisé afin d’offrir aux jeunes des opportunités de promouvoir activement la vérité, la justice et la réconciliation au sein de leurs communautés en les aidant à utiliser des méthodologies et des outils de plaidoyer innovants », a-t-elle souligné.

Et d’ajouter: «L’organisation diversifie et documente les récits de l’impact des violations des droits de l’homme et crée des archives de l’histoire du pays. Elle fait du plaidoyer pour le respect des droits de l’homme et la justice pour une paix durable, la stabilité, la cohésion sociale et le développement à travers la narration. Elle fait également la promotion de la réconciliation et la guérison à travers le respect mutuel en créant un sentiment de solidarité », a révélé l’activiste Nana-Jo Ndow.

Les autres associations et organisations Africaines ont aussi présenté tour à tour leurs travaux.

La CONAREG : la documentation et l’Imagerie

En Guinée, le représentant de la Coalition Nationale d’Appui à la Réconciliation en Guinée, CONAREG, a fait remarquer que la meilleure façon d’enseigner la nouvelle et future génération est de documenter les faits en imagerie afin de mémorialiser les faits et ainsi s’assurer de garder les traces de l’histoire, un appel qu’il a lancé à ses compatriotes Africains.

L’OADDE : non à l’ethnocentrisme

Il s’est suivi la présentation de l’OADDE, Organisation Africaine du Développement Durable et de l’Environnement, toujours de la Guinée. L’organisation lutte contre l’ethnocentrisme et la discrimination religieuse entre les jeunes en milieux scolaire et estudiantin. Son représentant a lui aussi invité ses frères et sœurs Africains à lutter avec toute leurs énergies toutes formes de discrimination ethnique et raciale car, a-t-il insisté, « elles font reculer le développement de nos pays respectifs ».

L’AVIPA : la thérapie

La représentante de l’AVIPA, Association des Victimes Parents et Amis des Victimes du 28 Septembre, (Guinée), a présenté à la séance le moyen thérapeutique par lequel les victimes partagent leurs douleurs en relatant les faits vécus.

Le FMV : résolution pacifique des conflits communautaires

Le représentant du FMV, le Forum pour la Mémoire Vigilante, une organisation sous régionale de burundais et rwandais, basée au Rwanda a à son tour invité ces activistes africains à engager les sages, notables et chefs coutumiers de leurs pays respectifs à léguer les récits historiques en rapport avec leur passé à leur jeunesse sans les déformer.

 

Mr Godefroid Sindayigaya a décrit l’institution des Bashingantahe au Burundi comme modèle de mécanisme de dialogue et de résolution pacifiques des conflits communautaires.

« Le Mushingantahe (sage, notable) est un homme sage dont le rôle est de régler les différends autour de lui, de réconcilier les personnes et les familles en conflits, de conseiller son entourage et de parler au nom de son peuple chaque fois que nécessaire », a-t-il rappelé.

Il a fait savoir que « Abashingantahe au Burundi est une institution qui a animé la vie sociale en matière de justice et de droit depuis longtemps et qui a pour rôle d’éduquer les gens au respect de la loi et des droits de l’homme dans les villages et communautés».

Sindayigaya a ainsi conseillé ses compatriotes Africains à toujours « impliquer les sages de leurs pays respectifs dans la résolution pacifique des conflits ainsi que dans la réconciliation ».

Pour terminer, il n’a pas manqué de décrire les différents projets déjà réalisés par le FMV et qui ont apporté un grand changement dans la communauté surtout des réfugiés burundais et congolais au Rwanda.

Cela inclut le volet de la résilience, du paiement du materiel scolaire aux enfants réfugiés démunis, de l’éducation à la paix, du suivi psycho-social des victimes de la crise au Burundi et en RDC, du leadership communautaire, de la communication non violente, de l’encadrement des jeunes pour la lutte contre la délinquance juvénile et la consommation des drogues et de la lutte contre les VBG. De tels projets ont suscité l’attention de l’audience dans la conférence.

L’OGDH : la cartographie émotionnelle

 Le représentant de l’OGDH, Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (Guinée), s’est inspiré dans sa présentation de l’expérience des chercheurs et scientifiques Finlandais qui viennent de mettre sur pied un système de cartographie qui scrute à la loupe les parties du corps affectées par diverses émotions, de la colère à la dépression en passant par l’amour.

« Il y a des fois où une victime a peur de parler de ce qui lui est arrivé dans sa vie mais si on lui demande de dessiner les zones de son corps qui ont été affectées, elle le fait aisément », a-t-il indiqué. 

La CONAREG : Cartes corporelles

La représentante de la Coalition Nationale d’Appui à la Réconciliation en Guinée, CONAREG, a présenté ce qu’elle appelle « les Cartes corporelles ».

 

Ainsi, les Cartes Corporelles sont réalisées ou dessinées par les survivants des graves violations des droits de l’homme.

« Il s’agit d’une façon de se rappeler de leur histoire et de la schématiser dès leur jeune âge, pour les évènements ayant bouleversé leur vie, c’est-à-dire les graves violations des droits de l’homme dont ils/elles ont été victimes », a-t-elle expliqué.

La réalisation des cartes corporelles permet aux survivants de reconstituer leur histoire et de la commémorer.

« En le faisant, les survivants se rappellent des moments forts de leur vie : enfance, les bons et mauvais souvenirs, les personnes ayant marqué leur vie, les moments de joie, de peur et de tristesse ainsi que le trauma causé par les évènements ayant bouleversé leur vie. La carte corporelle est un résumé schématisé de la vie des survivants » mentionne-t-elle.

Selon toujours la représentante de la CONAREG, l’exposition des cartes corporelles a pour but d’amener les participants aux activités en général, les jeunes en particulier à s’inspirer du vécu et expérience des survivants en vue de jouer leur rôle dans la prévention des violences, la promotion de la cohésion sociale et la non répétition des évènements douloureux.

Constitution Hill : dialogue inclusif 

La représentante de « Constitution Hill », une organisation Sud Africaine a insisté sur le fait que le dialogue inclusif est une occasion d’apprendre de l’expérience d’une autre personne.

« Car le dialogue peut façonner, renforcer ou remettre en question nos opinions et nos valeurs.  Elle a fait savoir que le dialogue entre les générations est un outil clé pour prévenir la violence », a-t-elle raconté.

En outre, ajoute-t-elle, « le dialogue peut contribuer à rendre la société plus forte, à promouvoir l’intégration sociale et à favoriser la participation des jeunes pour parvenir au développement social ».

Campaign For Good Governance : dialogue inter-générationnel

La représentante de « Campaign For Good Governance », une organisation opérant en Sierra Leone, dans sa présentation a dit que son mouvement favorise le dialogue inter-générationnel grâce à l’activisme des médias sociaux dirigé par les jeunes. Elle a montré comment la narration d’histoires et le travail sur les médias sociaux sont liés aux efforts de prévention de la violence.

Cependant, elle a déploré l’effet néfaste des récits sur les réseaux sociaux et son impact sur les jeunes qui y voient un moyen de communication, de partage d’informations et d’apprentissage à faible coût. Elle a invité ces compatriotes Africains à voir comment corriger et éviter les récits haineux à travers des campagnes sur les réseaux sociaux.

Justice Access Point : plaidoyer par bandes dessinées

 Le représentant de « Justice Access Point », Ouganda, a fait savoir dans sa présentation que des jeunes champions ont été formés au développement, à l’utilisation de bandes dessinées et à la conduite de plaidoyers pour contrer l’islamophobie en Ouganda.

« Les bandes dessinées développées ont été utilisées par les jeunes pour faciliter des dialogues en petits groupes dans les écoles, les communautés locales et les lieux de culte à travers les religions et les confessions dans les régions d’Entebbe et de Kampala. Les histoires racontées ont sensibilisé au problème de l’islamophobie », a-t-il noté.

COJEDEV : responsabilité citoyenne

 Le représentant de « Contact Jeunesse Développement de la Guinée, COJEDE V » à son tour a indiqué que tenant compte de la situation politique en Guinée, le COJEDEV œuvre à la sensibilisation et l’éducation à l’exercice des droits et libertés fondamentales avec une responsabilité citoyenne dans le respect des textes de lois de la Guinée.

Pour se faire, elle organise des causeries avec les jeunes pour leur apporter les ressources juridiques disponibles dans l’exercice du droit de manifester tout en sensibilisant sur l’abandon de toutes les formes de violences pendant les périodes de revendications.

« L’organisation sensibilise aussi la jeunesse à la Non-Violence à travers le Slam qui est un genre musical mélangé de poésie et de rythmes sonores afin de contribuer à l’abandon de tous les comportements qui empêchent la promotion de mauvais comportement chez les jeunes notamment le vol, la consommation de la drogue, l’alcool, le viol, le non-respect des symboles de la République, l’incivisme, etc », disait-il.

Il a montré combien la musique, la danse, l’art en général sont de bons outils à promouvoir dans la résolution pacifique des conflits et dans la lutte contre la violence.

Hope Lantern : narration pour le changement social

 Le représentant de « Hope Lantern », Rwanda, a montré à la séance que leur travail repose principalement sur la narration.

Pour lui la narration est l’un des outils les plus importants pour promouvoir le changement social en raison de son impact neuro.

S’appuyant sur le chercheur Carl Wilkens, il a indiqué : « En racontant une histoire, nous pouvons planter des idées, des pensées et des émotions dans le cerveau des auditeurs formant ainsi de nouvelles voies neuro qui amènent au changement positif».

L’autre projet partagé est la narration digitale des Banyamulenge, une des communauté congolaise, surtout marginalisée dans la partie Est.

« Les histoires inédites des Banyamulenges sont une série d’histoires de victimes et de survivants de la violence raciale à l’Est du Congo. L’organisation a facilité à recueillir 20 histoires comme plaidoyer pour la justice des Banyamulenges » a-t-il expliqué.

En somme toute, tous les participants s’accordent pour dire que les séances de quatre jours ont été instructives.

Dans son mot de clôture, Madame Gege Joseph coordinatrice de ICSC pour l’Afrique et l’Amérique latine y est revenue, elle aussi.

Elle a montré à la séance que la narration inter-générationnelle est une opportunité d’aborder et de reconstruire l’histoire, les traditions et les valeurs d’un point de vue culturel et historique.  Elle a encouragé les participants à organiser ce genre de narration.

De quelle manière le dialogue inter-générationnel peut-il prévenir la violence ?

C’est une question principale qui a été posée. Pour y répondre, elle a révélé que les gens vivent dans un continuum entre le passé et le présent, façonné par les histoires que nous racontons et entendons chaque jour.

« Les histoires sont nos amies, nos conseillères et nos enseignantes. Elles sont un moyen de nourrir une culture morale dans le cœur et l’esprit des gens. Elles stimulent l’imagination, rassemblent les personnes et font tomber les barrières. C’est une tradition que nous ne devons jamais perdre…», a fait savoir madame Gégé.

Pour Gégé Joseph, la narration inter-générationnelle est une opportunité d’aborder et de reconstruire l’histoire, les traditions et les valeurs d’un point de vue culturel et historique d’une manière fidèle et cela prévient à tout prix la violence.

Les organisations qui ont participé à la conférence sont Human Rights and Media Centre (South Africa), AVIPA (Guinée), Manene Cultural Trust (Kenya), OADDE (Guinée), Forum pour la Memoire Vigilante (Burundi/Rwanda), OGDH (Guinée) et CONAREG (Guinée), Constitution Hill (South Africa), Campaign For Good Governance (Sierra Leone), Justice Access Point (Uganda), COJEDEV (Guinée) et Hope Lantern Space (Rwanda).

 

Article réalisé par l’équipe de la communication, sous la supervision du délégué du FMV à Conakry, Mr Godefroid Sindayigaya.

 

One thought on “Conakry : La mémoire comme ingrédient principal de la résolution pacifique des conflits intercommunautaire en Afrique”

  1. Merci Beaucoup à FMV pour cette participation et ces échanges qui ne font qu’enrichir l organisation dans sa mission de bâtir la paix. Merci de nous partager ces échanges.

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