Alors que le 10 octobre de chaque année, le monde entier célèbre la journée dédiée à la santé mentale, le FMV qui s’intéresse à la santé mentale a choisi s’entretenir avec un spécialiste en la matière. Dr Denis KAZUNGU propose de « penser à des programmes de prévention bien pensés et élaborés qui tiennent comptes des défis du moment et des spécificités de certaines professions et instaurer une évaluation sous forme d’un check up régulier… »
Dr Denis est psychologue clinicien & psychopathologue diplômé de l’université de Mons et de l’Université Libre de Bruxelles en Belgique. Egalement détenteur de Diplôme en Droits de l’Homme, il est Directeur des services de recherche et médico-psychosociaux au sein du FMV. Il s’intéresse à des problèmes de santé mentale et des maladies associées qui échappent au diagnostic médical plus particulièrement à la santé mentale et processus de maternité.
Le thème choisi pour la journée Internationale de la santé mentale, édition 2024 est en rapport avec la santé mentale au travail, pourquoi ce thème ?
La question de la santé mentale est actuellement en vogue dans le monde entier et les problèmes de santé mentale dans les milieux professionnels envahissent toutes les sphères de la vie. Le choix de ce thème pourrait être lié aux différents constants faits à travers différents pays et des situations professionnelles de plus en plus alarmants pour sensibiliser les pays, les institutions et les individus à ces enjeux de santé.
Vous parlez des situations de plus en plus alarmantes sur la question de la santé mentale au travail dans le monde, quelle est l’ampleur de la question ?
C’est une question qui prend de l’ampleur. Par exemple, aux USA, 57% des travailleurs déclarent souffrir actuellement d’un épuisement professionnel au moins modérés, 75% de femmes contre 58% des hommes, Finlande plus de 50% de la population active présentent des symptômes de stress- angoisse, états dépressifs ; douleurs, troubles du sommeil et 7% souffre d’un surmenage grave. En Allemagne, les pathologies à caractère dépressif sont responsables de près de 7% des départs précoces à la retraite et l’incapacité de travail résultant d’une dépression est environ 2.5 plus longue que celle occasionnée par d’autres maladies. Au Royaume Uni, 3/10 des salariés connaissent des problèmes de santé mentale et 1/20 des travailleurs est gravement atteint chaque année.
Au Canada, 70% des travailleurs sont préoccupés par la santé et la sécurité psychologique au travail et 40% des absences maladie sont liés à un problème de santé mentale ce qui représente plus de 51 milliards de dollars de perte. En Afrique, on enregistre 11% de cas de suicide sur 100000 employés et cela est supérieur à la moyenne qui est de 9% reconnu par l’OMS ; c’est donc une question de santé qui mérite une attention particulière de la part des gouvernements et des milieux professionnels
Vous évoquez en passant des hommes et les femmes qui sont différemment affectés ça veut dire quoi exactement ? Ya -t-il une implication avec la santé mentale au travail ?
Oui, en santé mentale, les hommes et les femmes sont presque toujours différemment affectés. Les raisons sont liées à certaines différences au niveau du fonctionnement psychophysiologique, le poids de la dimension culturelle ainsi que le harcèlement qui rattrapent les personnes de sexe féminin plus que le sexe masculin. C’est ainsi que la détresse psychologique par exemple frappent les femmes à 18% contre 12% pour les hommes, difficultés à s’endormir et insomnie 40% pour les femmes contre 28% pour les hommes, sentiment de solitude 42% pour les femmes contre 32% pour les hommes, la dépression 10% pour les femmes contre 8% pour les hommes.
Il en est de même pour le burnout auquel s’ajoutent le poids de certaines formes de précarités menstruelles dont le poids psychologique est traumatisant etpoussent certaines femmes à rater certaines promotions professionnelles voire une retraite anticipée. Beaucoup de gens se retrouvent alors dans une errance diagnostique et thérapeutique pour des maladies et d’autres problèmes de santé qui en résultent sans le savoir et non plus les médecins ont souvent des difficultés à le décortiquer. C’est pourquoi au niveau du FMV nous avons déjà réalisé certaines activités en rapport avec la santé mentale et processus de maternité que nous cherchons d’ailleurs à collaborer pour l’étendre au niveau des institutions de soins.
Que proposez-vous comme solution
On doit d’abord savoir et prendre conscience que le problème de santé mentale au travail est une question urgente et l’intégrer dans les milieux professionnels. La rentabilité en dépend. Il faut disposer des professionnels qualifiés, expérimentés qui savent utiliser des outils (test internationalement validés) parce que le stress, la dépression, l’anxiété, le burnout sont mesurables cela permet d’élaborer des programmes sur mesure.
Bien évidemment penser à des programmes de prévention bien pensés et élaborés qui tiennent comptes des défis du moment et des spécificités de certaines professions et instaurer une évaluation sous forme d’un check up régulier (chaque année par exemple) qui permet d’intégrer des mécanismes tels que la mi-temps thérapeutiques, pause santé obligatoire etc. Enfin le manque d’interactions régulières entre différentes institutions, intervenants et professionnels, (médecins, professionnels de santé mentale) est un défi. Cela permettrait de fixer une idée et de comprendre certains défis et surmonter les limites individuelles.
Dans la région des grands lacs de l’Afrique, la situation est alarmante…
Au Rwanda, comme le rapporte le journal en ligne Igihe, « 32% des employés de grandes entreprises ont en un certain moment pensé à se suicider » selon une étude menée par RBC, une agence biomédicale du ministère de la santé publique. (Article Igihe.com : https://tinyurl.com/45ctjntc )
Au Burundi, plus de 4 personnes sur dix présentent des problèmes mentaux, selon une enquête réalisée dans quatre provinces, il y a deux mois. Une réalité dévoilée à la veille de la journée mondiale de la santé mental. ( Article tiré sur www.iwacu-burundi.org https://tinyurl.com/bdf46m37 )
En effet, sur 3.000 ménages des provinces Ngozi, Gitega, Bujumbura-mairie et Rumonge, plus de 64% manifestent une difficulté psychologique parmi lesquels plus de 47% connaissent un épisode de trouble plus sévère. Des chiffres révélés par le ministère de la Santé ce mardi 8 octobre à la veille de la journée mondiale de la santé mentale.
Inquiétude de l’OMS
À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, l’Organisation Mondiale de la Santé, OMS, s’associe à ses partenaires pour souligner le lien vital qui existe entre santé mentale et travail. Créer des environnements de travail sains et sûrs permet de protéger la santé mentale. Au contraire, des facteurs nuisibles à la santé – notamment la stigmatisation, la discrimination et l’exposition à des risques tels que le harcèlement et d’autres mauvaises conditions de travail – peuvent significativement compromettre la santé mentale, la qualité de vie globale et, par conséquent, la participation ou la productivité au travail. Sachant que 60 % de la population mondiale travaille, il est urgent d’agir pour protéger et favoriser la santé mentale au travail et prévenir les risques connexes.
Pour l’OMS, il est primordial que les pouvoirs publics, les employeurs, les organisations qui représentent les travailleurs et travailleuses et les employeurs, ainsi que les autres parties prenantes responsables de la santé et de la sécurité au travail, collaborent pour améliorer la santé mentale en milieu professionnel.
Les travailleurs et travailleuses et leurs représentants et représentantes ainsi que les personnes ayant une expérience concrète des problèmes de santé mentale doivent être associés de manière constructive à l’action menée pour améliorer la santé mentale au travail. En consacrant des efforts et des ressources à la mise en place d’approches et d’interventions fondées sur des données probantes au travail, nous pouvons faire en sorte que chacun et chacune ait la possibilité de s’épanouir au travail et dans la vie en général. Agissons dès aujourd’hui pour un avenir plus sain.